Textes de l'exposition : Tan Salé dann tan margoz
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Mahavel au temps de la société d’habitation
et du métissage
Dans les cinquante premières années du peuplement de Mascarin - c’est le nom donné à l’île par ses premiers habitants - une société d’habitation se met en place dans l’ouest et dans le nord de l’île.
La réalité juridique du nouveau territoire, c’est d’être une seigneurie de type féodal dont le suzerain est la Compagnie des Indes et soumise au Droit de la coutume de Paris.
La Compagnie y envoie régulièrement des représentants qui gouvernent le pays et régissent la vie de ses habitants. On impose ainsi à la nouvelle colonie la loi du monopole et ses habitants deviennent des sujets taillables et corvéables à merci !
La population constituée au fur et à mesure de l’arrivée des nouveaux venus, engagés des différentes provinces françaises, voire d’Europe, rescapés de Fort Dauphin, serviteurs Malgaches, hommes et femmes venus des comptoirs indiens, pirates assagis etc. va constituer un peuplement original au mode de vie et à la mentalité particulière.
Pendant toute cette période, la partie sud de l’île qui commence à la ravine St-Gilles va rester interdite à toute installation de nouveaux habitants. Pourtant la région est très verdoyante, arrosée par de nombreuses ravines et étangs et ombragée de forêts ; tout semble pouvoir y pousser.
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Mahavel au temps de la société d’habitation
et du métissage
Dans les cinquante premières années du peuplement de Mascarin - c’est le nom donné à l’île par ses premiers habitants - une société d’habitation se met en place dans l’ouest et dans le nord de l’île.
La réalité juridique du nouveau territoire, c’est d’être une seigneurie de type féodal dont le suzerain est la Compagnie des Indes et soumise au Droit de la coutume de Paris.
La Compagnie y envoie régulièrement des représentants qui gouvernent le pays et régissent la vie de ses habitants. On impose ainsi à la nouvelle colonie la loi du monopole et ses habitants deviennent des sujets taillables et corvéables à merci !
La population constituée au fur et à mesure de l’arrivée des nouveaux venus, engagés des différentes provinces françaises, voire d’Europe, rescapés de Fort Dauphin, serviteurs Malgaches, hommes et femmes venus des comptoirs indiens, pirates assagis etc. va constituer un peuplement original au mode de vie et à la mentalité particulière.
Pendant toute cette période, la partie sud de l’île qui commence à la ravine St-Gilles va rester interdite à toute installation de nouveaux habitants. Pourtant la région est très verdoyante, arrosée par de nombreuses ravines et étangs et ombragée de forêts ; tout semble pouvoir y pousser.
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Le quartier Saint-Étienne, la paroisse et la commune de Saint-Louis
La première concession octroyée en 1719 à Antoine Desforges Boucher entre la ravine des cafres et la ravine du Gol est plus une grosse ferme expérimentale qu’une véritable plantation. Elle inaugure toutefois la mise en valeur de Mahavel et la naissance du quartier Saint-Étienne.
Au fur et à mesure d’autres concessions seront attribuées à partir desquelles se créent de nouvelles habitations. Tout au long du 18ème et 19ème siècle, des villages, des quartiers, puis des communes vont naître et se développer autour ou en relation avec ces plantations.
La commune actuelle de l’Étang-Salé, quant à elle, a une histoire particulière. A l’origine c’est un ensemble de bourgs disséminés limités par des ravines qui ne devient entité autonome qu’en 1893 après la séparation d’avec la commune de Saint-Louis.
Pour cette période, celle de la société de plantation, de la culture du café et de son corollaire, l’esclavage, les chiffres officiels issus des recensements concernent seulement Saint-Louis et L’Étang-Salé.
Hommes, femmes et enfants qui y vivent sont régis par « LES LETTRES PATENTES DE 1723 » plus communément appelé CODE NOIR qui organise le nouveau système socio-économique d’exploitation, inégalitaire car fondé sur le préjugé de couleur.
Dans la plaine du Gol, derrière les dunes au sable noir ou sur les contreforts de l’Étang-Salé, deux mondes vont co-exister : les habitants libres souvent blancs, gros ou petits propriétaires fonciers avec quelques ouvriers engagés européens ; des esclaves Malgaches, Cafres, Indiens, Malais et ceux nés dans l’île, les Créoles… Entre ces deux mondes survivent quelques Blancs pauvres entièrement marginalisés et quelques rares esclaves libres affranchis ou des engagés indiens libres.
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Habitation des frères Cadet à Ravine Sèche
De 1719 à 1722 les frères Pierre, Louis et Étienne Cadet et leurs familles s’installent au lieudit Place des Roches à Ravine Sèche. Ils y ont obtenu une concession proche de celle d’Antoine Desforges Boucher. Cette dernière ne se trouve pas loin de l’étang du Gol, alors que la leur est derrière les dunes de L’Étang-Salé. C’est une des plus grandes concessions de la région, elle fait 640 hectares. Les frères Cadet vont profiter de l’expérience de Desforges Boucher qui, avec l’aide de son économe Mathurin Tallec, acclimate sur ses terres très riches du Gol diverses plantation et espèces animales et végétales. Ce qui ne plaît pas trop à la Compagnie qui préfèreraient implanter dans la plaine du Gol des cultures exotiques de rapport… ce qui sera bientôt le cas avec la culture du café !
En 1730, on récence une quinzaine d’esclaves en grande majorité malgache sur une propriété appartenant à un des frères Cadet, Pierre. Mais dès les années 1735-1737 l’habitation Cadet comptera une soixantaine d’esclaves occupés à la culture du café, aux productions vivrières et à l’élevage du bétail.
La famille Nativel-Cadet d’origine franco-malgache a toujours été assez rebelle jusqu’à faire les kivis dans les bois quand elle se sentait menacée par les représentants locaux de la Compagnie des Indes. Mais là, elle s’enracine désormais dans la nouvelle région et constitue même à Ravine-Sèche, une des souches du peuplement originel de la future ville de L’Étang-Salé.
Partagé aujourd’hui entre les communes des Avirons et de L’Étang-Salé, on peut dire que Ravine-Sèche a été quasiment le premier village non marron établi avant la rivière Saint-Étienne dans ce pays de Mahavel.
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Le lieu-dit « Le Pont » : une énigme historique
Pourtant au cours du 18ème et du 19ème siècle des familles y vivaient, des enfants naissaient et grandissaient, affranchis par Desforges Boucher ; lascars ou noirs, indiens libres travaillaient sur la plantation. Quelques ouvriers engagés européens c’étaient aussi intégrés à la petite communauté sans compter les jeunes blancs qui venaient courtiser les belles mulâtresses.
Chacun, là, disposait d’un petit lopin de terre et avait construit sa case, planté quelques légumes et élevé des animaux, tout cela avec l’accord de l’ancien maître. Des liens s’étaient tissés entre voisins ayant plus ou moins la même origine (indiens, malais…). Des couples s’étaient formés, des familles s’étaient constituées ou se consolider. Le préjugé de couleur volait en éclat, on se croyait revenu au temps de la peuplade, au temps de Mascarin !
Beaucoup de vieilles familles souches de notre ville ont leurs racines dans ce quartier, en particulier celles qui ont pour aïeux d’anciens esclaves ou noirs libres de Desforges Boucher, et ils sont nombreux ! (Les Gence, les Lechat, les Lucas, les Taochy, les Paris, les Laurent, les Jasmin, les Bertil, les Gourgoury, les Moula, les Suzanne, les Bacar, les Bijoux…)
Vie d’une famille d’esclaves affranchis d’Antoine Marie Desforges Boucher au lieu-dit « Le Pont »
Stanislas est né le 17 septembre et baptisé le 27 septembre 1778 dans la paroisse de Saint-Louis. On le déclare comme étant le fils d’Antoine, Indien forgeron et de Michèle, créole à la pioche, tous deux esclaves d’Antoine Marie Desforges Boucher sur son habitation du Gol.
Son parrain est Antoine et sa marraine Marie, esclaves du même Maître. Il grandit dans le camp sur l’habitation avec sa famille. Esclave à la pioche lui aussi, il est racheté, le 18/01/1788 avec ses frères et sœurs, à son nouveau Maître Pascalis qui a repris l’habitation du Gol, par sa grand-mère Béatrix esclave indienne domestique affranchie par l’ancien Maître avec son mari Martin Boule esclave Indien jardinier en avril 1789.
Tous les enfants affranchis quittent l’habitation Pascalis du Gol et vont s’installer auprès de la grand-mère au lieu-dit « Le Pont ». Stanislas est âgé de 10 ans, il y retrouve sa mère et un ami de feu son père Maurice Lechat, un engagé européen célibataire de Desforges Boucher tailleur de pierre. Ce dernier, après le décès de la grand-mère prends toute la famille sous sa protection.
Le 30 juin 1805, âgé de 27 ans, il se marie dans la paroisse de Saint-Louis, avec Gillette femme de couleur libre, âgée de 26 ans, fille naturelle de Jeanneton Gens et d’un père inconnu. Ils déclarent alors comme nés d’eux deux garçons (Pierre-désiré et Jean-Marie) et trois filles (Elisabeth, Mélanie, et Censée). Le mariage se fait avec la présence de Marie Michèle mère de l’époux, âgée de 59 ans et de Jeanneton Gens mère de l’épouse âgée de 54 ans.
Au recensement de 1835 il est âgé de 57 ans, il s’appelle Stanislas Lechat et exerce la profession de cantonnier sur la rue royale. Sa famille s’est agrandie, (10 enfants). Certains ont même pris leur particulier et ont eux-mêmes des enfants, Jean-Marie est cordonnier, Maurice est cultivateur et Censée a 5 enfants. Il a même un terrain de 10 gaulettes carré et 1 esclave cultivateur, âgé de 36 ans, Joseph créole.
Un « ti kréol » de couleur natif du village du Pont
A huit heures du soir, Marie Censée, fille naturelle de Gilette, fille de couleur libre, met au monde dans sa maison située au lieudit Le Pont un enfant mâle qui sera appelé Pierre Marc. La sage-femme est sa grand-mère maternelle Jeanneton Gens femme de couleur libre du quartier.
Ce « négrillon » sera déclaré comme enfant naturel, né de père inconnu le 12 février 1828 à onze heures à Saint-Louis. Les témoins sont Benoît Gens et Justin Gence ses cousins. Cette naissance sera enregistrée dans le registre des hommes de couleur libres du quartier de Saint-Louis.
Marie Censée a toujours vécu dans ce quartier du Pont au milieu de sa nombreuse famille, entourée de ses enfants et de leur père. Elle a été reconnue grâce au mariage de ses parents, leur histoire est singulière.
Ginette, sa mère, noire libre, était une fille naturelle de Jeanneton Gence. Stanislas, son père, jeune esclave indien à la pioche de Desforges Boucher avait été affranchi par RACHAT par ses grands-parents maternels Indiens, eux-mêmes affranchis par le même propriétaire en avril 1769. Il était le fils d’Antoine esclave indien forgeron affranchi et de Marie Michèle créole Indienne elle aussi affranchie par RACHAT. Son grand-père Martin Boule était esclave jardinier et sa grand-mère Béatrix esclave domestique au château.
Jeanneton Gence est une créole indienne libre. Cultivatrice elle fait fonction dans son quartier de sage-femme. Elle a eu de nombreux enfants tous nés de père inconnu et est la fille légitime de Jean Souhetman né à Pondichéry et arrivé à Bourbon vers 1728. Indien catholique libre engagé comme commandeur pour encadrer les esclaves sur la plantation des frères Morel (St-Paul-St-Denis). Il épouse Gillette une esclave affranchie née à l’île de France et on les retrouve plus tard chez Antoine Marie Desforges Boucher à St-Denis et sur l’habitation du Gol. Ils laisseront une nombreuse descendance : toute la famille Gence (Jeance, Gens, Gence) dont Célimène, la muse de Trois Bassins !
Pierre-Marc sera finalement légitimé lors du mariage de ses parents, Eugène, Adolphe, Fidèle Lucas, blanc libre né à Saint-Louis le 28/04/1802, surveillant de rade au bassin Pirogue, son père, et Marie Censée Stanislas dite Lechat, noire libre, née le 04/06/1803, sa mère, à Saint-Louis le 11/10/1853 avec tous les enfants et petits-enfants de cette union. Pierre-Marc, appelé Lechat, devient légalement et officiellement Pierre-Marc Lucas et il est l’aïeul de nombreux Étang Saléens.
Habitant indigent cultivant un petit terrain, il a été expulsé avec sa famille du lieu-dit « Le Pont » par les nouveaux propriétaires du Gol. Toute sa nombreuse famille, enfants et petits-enfants ont alors occupé, sans aucun titre de propriété, la grande dune qui fait face à la croisée de la grand route et du chemin des Canots. Pierre-Marc y a créé une petite boutique qui, par la suite sera reprise par un de ses fils, Casimir Lucas. Aujourd’hui une petite rue qui traverse la dune porte le nom de cette famille.
Voilà donc l’histoire de PIERRE-MARC LUCAS, petit-fils d’esclave indien affranchi de la plantation d’Antoine Marie Desforges Boucher, déclaré à sa naissance « négrillon » et « enfant naturel » de la « négresse libre » Marie Censée Stanislas dite Lechat. Reconnu par son père, Eugène Adolphe Fidèle Lucas avec tous ses frères et sœurs l’habitant blanc libre né à Saint-Louis lors de son mariage avec sa mère le 11/10/1853. Mariage qui a quand même eu lieu 5 ans après le 20 décembre 1848 et plus de 50 ans après la naissance de ses parents biologiques.
Les facéties de l’histoire ne s’arrêteront pas là ; comme il s’était marié et avait eu des enfants sous le nom de Lechat, il faudra un jugement du tribunal pour réparer les erreurs de transcriptions de l’état civil et pour que lui et ses enfants aient vraiment le droit de s’appeler LUCAS comme ses autres frères et sœurs.
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Autres habitations dans le quartier Saint-Étienne
De la ravine des Avirons jusqu’à la rivière Saint-Étienne, du battant des lames au sommet des montagnes, au cours de cette longue période (1718-1848), on voit naître, se développer et mourir de nombreuses plantations autour de la production des vivres, du café et de la canne à sucre.
Toutes utiliseront comme main d’œuvre dans les champs d’abord des esclaves puis après l’abolition de l’esclavage des engagés Indiens. Les camps des engagés avec leurs « calbanons » remplacent les camps d’esclaves sur les grandes propriétés.
Mais tous les propriétaires ne deviendront pas obligatoirement de gros propriétaire ! Certains vont même faire faillite ou être complètement ruinés. On voit ainsi apparaître des blancs miséreux qui vivotent à la lisière des grandes plantations, survivent sur des micro-parcelles, ou se réfugie dans les montagnes.
Laissés pour compte du système, ils garderont quand même plein de préjugés sur leurs compagnons de misère (esclaves, affranchis et engagés Indiens), le système colonial esclavagiste avec sa course à l’enrichissement personnel des colons Européens et son idéologie raciste a intelligemment manipulé une population profondément métissée dès l’origine.
A cause de cette logique, les vieux habitants, sans s’en rendre compte, vont eux aussi être plus ou moins marginalisés au profit de nouveaux arrivants venus « faire fortune aux îles ». Les cadets de familles nobles remplacent petit à petit les premiers colons qui étaient pour la plupart des provinciaux d’origine modeste qui fuyaient la misère et les guerres en s’engageant auprès de la compagnie des Indes. Nous ne sommes alors plus en face du même type de colons !
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Habitation Antoine Desforges Boucher au Gol (1719-1725)
Le 25 novembre 1719 Antoine Desforges Boucher obtient « du battant des lames au sommet des montagnes », la concession du Gol comprise entre la ravine du Gol à l’est et la ravine des Cafres à l’ouest. D’une superficie considérable (1806 ha), une partie plantait en caféiers, les terres en friches seront, elles aussi cultivées grâce à la main d’œuvre esclave de l’habitation. L’autre partie de la plaine du Gol, entre la ravine du Gol à l’ouest et la ravine du Mouchoir Gris à l’est est concédée à son beau-frère Sicre de Fonbrune nouvel arrivant dans l’île. En 1725, il récupère ces terres et devient ainsi un des plus gros propriétaires fonciers de l’île.
C’est aussi la fameuse époque de la mise en place, à côté de la nouvelle culture du café, de la « ferme expérimentale » sous la direction de l’économe Mathurin Tallec. On plante aussi des vivres, de la vigne, des oliviers, du coton…
En 1725, malade, il fait son testament. Legs pour ses enfants, dons, récompenses pour ses fidèles serviteurs. A son économe, il lui lègue peut-être une propriété vers la ravine des Cafres (d’où le nom de Pont Mathurin).
Antoine Desforges Boucher décède le 1er décembre 1725. Un inventaire est fait et ses biens sont partagés le 16 août 1732. Le Gol est divisé en deux habitations : la première entre la ravine du Manirons à l’ouest et la ravine du Gol à l’est, qu’on appellera habitation du Gol ; la deuxième entre la ravine du Mouchoir Gris à l’est, qu’on appellera habitation Maison Rouge.
Laissées dans l’indivis elles appartiennent aux héritiers Antoine-Marie, Jacques… « Au recensement de 1735 ordonné par Mahé de Labourdonnais, les héritiers Antoine Desforges Boucher possèdent dans la paroisse de Saint -Louis : 24 esclaves dont 15 hommes et 9 femmes, 20 000 sont en rapport.
L’habitation produit : 500 quintaux de blés (25t) ; 200 quintaux de maïs (10.16t) : 500 quintaux de fayots (25.4t)
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Habitation de Maison Rouge Jacques Desforges Boucher (1749-1767)
Jacques Desforges Boucher revient à Bourbon en 1749. Il se marie à Saint-Louis et prend possession du domaine de Maison Rouge dont il a hérité.
Compte tenu des responsabilités il prend en charge, pendant un certain temps, toute l’immense propriété familiale du Gol et de maison Rouge.
Au recensement de 1752 il ne gère plus que sa propriété de Maison Rouge d’une superficie de 651 arpents (222,56 ha) et est le père d’une nombreuse famille (10 enfants)
- Plantation de 10000 caféiers
- Maïs (200 quintaux ; 16,6 t)
- Blé (100 quintaux ; 10,16 t)
- Riz (100 quintaux ; 5,080 t)
- Cheptel 250 bœufs, 120 moutons, 100 cochons
99 esclaves dont 79 adultes vivent à Maison Rouge
Lors du retour de son frère au Gol, Jacques vend son habitation et part pour Lorient.
Pendant toute cette partie du 18eme siècle, les frères Desforges Boucher sont les plus gros propriétaire de Saint-Louis.
Recensement d’autres habitations
Lors du recensement de 1735, les autorités dressent une liste des autres exploitations existant dans le quartier. En voici quelques-unes :
- Habitation Elisabeth Gouzerone Feydau Dumesnil, 2084 ha dont 47,5 ha de terres en rapport
- Production :
- Caféiers : 10000 jeunes plans + 30000 en rapport ; 1000 livres à fournir
- Blé : 1500 livres
- Maïs : 25000 livres
- Haricots : 6000 livres
- Bétail :
- 185 têtes
- Petit élevage (200 poules, 29 dindons, 16 oies, 10 canards, 50 pigeons)
- Esclaves :
- 86 dont 65 adultes valides
- Production :
- Habitation Lallemand dit Richard et Barbe Payet ; 630 ha dont 57 ha de terres en rapport
- Productions
- Caféiers : 4000 jeunes plants + 12000 en rapport + 1500 livres à fournir
- Blé : 1000 livres
- Maïs : 25000 livres
- Haricots : 200 livres
- Bétail
- 170 têtes
- Petit élevage (500 poules, dindons, 3 oies 4 pigeons)
- Esclaves
- 24 dont 14 adultes valides
- Productions
- Habitation Pierre Nativel et Henriette Lebon (Pierre Nativel junior est né à Bourbon, il est le fils de Pierre Nativel et de Thérèse Soa Varaka, et le frère de Louise Nativel veuve d’Antoine Cadet) : 5 propriétés et 61 esclaves. Il gère aussi la concession des Duronguet Le Toullec qui a été nommé en 1731 commandant de l’île de France.
- Habitation Julien Mollet : 5.22 ha 6 esclaves dont 4 adultes.
Recensement de l’habitation du Gol année 1783 (extraits)
Blancs :
- Antoine Desforges Boucher (68 ans)
- Maurice Lechat, appareilleur, né en France (51 ans)
Malabars :
- Taouchy, Indien, Maçon (51 ans)
- Bacar, Indien, pêcheur (49 ans)
- Antoine Moula, Indien, patron de pirogue (60 ans)
Noirs libres et affranchis
- Charlot, créole, maître d’hôtel (43 ans)
- Laurent, créole, cuisinier (49 ans)
- Martin Boule, Indien, jardinier (64 ans)
- Gourgoury, Indien, domestique (63 ans, invalide)
Négresses libres et affranchies
- Charlotte, créole, domestique (31 ans)
- Fatime, Guinéenne, ancienne domestique, femme de Laurent (43 ans)
- Béatrix, Indienne, ancienne domestique, femme de Martin Boule (58 ans)
- Inguy, Indienne, invalide, femme de Gourgoury (61 ans)
Total d’esclaves : 357 « têtes d’esclaves »
Parmi ces esclaves :
« Négresse de 41 ans et plus » : Michelle (41 ans), créole à la pioche (femme d’Antoine, forgeron)
« Négrillons esclaves (14 ans et au-dessous) : Baptiste, créole, 14 ans, à la pioche // Stanislas, créole, 6 ans, à la boulangerie. (ces deux garçons sont les enfants de Michèle femme d’Antoine, forgeron)
« Négrittes esclaves (12 ans et au-dessous) : Claire, créole 9 ans, à la pioche // Bertelle, créole 4 ans, à la pioche (ces deux filles sont les enfants de Michèle femme d’Antoine, forgeron).
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Habitation Antoine Marie Desforges Boucher au Gol (1736-1783)
Ingénieur militaire, Antoine Marie Desforges Boucher revient à Bourbon en 1736. Il commence une brillante carrière dans les deux îles des Mascareignes.
Pendant un de ses séjours sur ses terres, entre 1754 et 1757, il fait bâtir son château à proximité de l’étang du Gol. Cette bâtisse doit témoigner de sa grandeur et de sa richesse, il est le plus gros propriétaire foncier de Bourbon.
Compte tenu de ses nombreuses fonctions et responsabilités, ses terres sont gérées par des économes et par son frère Jacques qui est revenu dans l’île en 1749. En 1767 il est nommé gouverneur général des îles de France et Bourbon. Il s’installe alors définitivement dans son château où il donne des fêtes somptueuses.
En 1783, il quitte définitivement Bourbon et cède sa propriété du Gol à Antoine François Pascalis et Jean Baptiste de l’Estrac. Avant son départ il affranchit ses esclaves « les plus talentueux » et favorise leur mariage.
Lorsqu’il a hérité de son père l’habitation du Gol en 1725, celle-ci comprenait 2000 caféiers et 24 esclaves. Au recensement entre 1740 et 1750 le domaine est géré par trois économes. Les terres sont mises en valeur par 146 esclaves. Il y a 20000 caféiers et la récolte annuelle est de 209 quintaux de café (10,6 t)
Au recensement de 1752, la surface du domaine est de 836 arpents (285,807 ha) et est exploitée par 162 esclaves (129 adultes) ; on y compte 40000 caféiers, 180 bœufs, 150 moutons, 180 porcs et on y récolte 180 quintaux de blé (9.14 t), 600 quintaux de maïs (30,48 t), et 60 quintaux de riz (3 t).
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AFFRANCHISSEMENTS SUR L’HABITATION ANTOINE MARIE DESFORGES BOUCHER ET SON SUCCESSEUR PASCALIS (1767-1786)
1er avril 1769 : affranchissements de Martin Boule, indien, âgé d‘environ 48 ans et de Béatrix, indienne, sa femme âgée d’environ 43 ans
3 août 1769 : affranchissement de Magdeleine, créole, âgée de 33 ans
17 juillet 1769 : affranchissement de Charlotte, créole, âgée de 21 ans
26 février 1777 : affranchissements de Henry Gourgoury, indien et François Bijoux, malgache aux conditions de leur donner à chacun une portion de terre suffisante pour subvenir à leur subsistance.
17 mai 1777 : affranchissements de Barbe Elisabeth, Françoise, Jean Marie et Charlotte, esclaves de Monsieur Jean Marie Le Meur, chirurgien, demeurant au Gol (Barbe et ses enfants sont affranchis en vertu de son mariage avec Bijoux).
12 octobre 1784 : affranchissements d’Antoine, créole ; Antoine dit Bourgueroux, indien, cuisinier ; Hyacinthe dit Jasmin, malgache ; Laurince, créole ; Pierre Paris, maître d’hôtel et Louise Rebecca sa femme de caste malaise, en raison de leur service durant sa dernière maladie.
Pierre Paris demande l’affranchissement de ses 8 enfants, tous créoles qu’il a racheté de son ancien maître (ses enfants ne seront jamais en charge de la colonie par l’état d’aisance où se trouve Paris et par les ressources qu’ils ont eux-mêmes, la plupart ayant du talent qui les mettront toujours à l’abri de l’indigence.
17 juillet 1788 : ayant été requis par la nommée Béatrix, affranchie de monsieur Desforges Boucher, de lui accordée la liberté des nommés : Claire, Félicité, Stanislas et Aubertine, les frères et sœurs qu’elle achète du sieur Pascalis pour les sortir de l’esclavage. La petite fortune qu’elle possède, lui permettra de les nourrir et entretenir pour qu’ils puissent ne pas être à la charge de la colonie. Béatrix offre même de les instituer ses seuls et uniques héritiers.
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Du quartier Saint-Étienne à la commune de l’Étang-Salé
Au 19ème siècle après le départ de la famille Desforges Boucher et la fin de l’âge d’or du café, le territoire va connaître une transition majeure. Il est essentiellement peuplé de petits créoles, d’anciens engagés et d’esclaves affranchis, c’est une population plutôt défavorisée vivant la plupart du temps de cultures vivrières sur de petites habitations.
Il faudra attendre l’arrivée d’une nouvelle génération de colons, les De Kerveguen, Chabrier, Deshayes, Boiscourt issus de la bourgeoisie européenne pour voir se développer avec l’essor de la canne à sucre, de nouvelles grandes exploitations.
En 1848, à l’occasion de l’abolition de l’esclavage le quartier St Étienne sera le théâtre d’une révolte ! Les petits créoles pauvres de l’Étang-Salé s’opposent à l’autorité, l’un d’entre eux est arrêté et emprisonné. Il est accusé du délit de vagabondage. La mobilisation est forte et s’organise, le 7 juillet 1848, une milice s’attaque au bureau de police et libère le prisonnier. Ces petits créoles refusent d’être soumis aux mêmes règles que les engagés ou les noirs libres auxquels on impose depuis 1846 un livret d’engagement justifiant de leur situation. Deux conciliateurs sont envoyés mais leurs efforts seront infructueux. La protestation prend de l’ampleur et s’étend aux communes voisines. Le gouverneur se rend sur place et après une entrevue avec une délégation décide de cesser toute poursuite contre eux.
Après la création de la paroisse Saint Dominique en 1859 et la construction de la première église en 1866, L’Étang -Salé devient le 24 février 1885 une section de la ville de Saint Louis et un adjoint est nommé pour assumer la fonction d’officier d’état civil. On y compte à cette époque 2950 habitants.
Cinq ans plus tard en juillet 1890, une procédure visant à demander la transformation de leur territoire en commune est envoyée au maire de Saint Louis. Plus d’un tiers des habitants ont signé une pétition manifestant ainsi une volonté générale d’accéder à un nouveau statut. Ils devront fournir un plan précisant les contours de leur future commune ainsi qu’un projet de budget. Une enquête concernant cette demande débute le 27 février 1891, les habitants justifient en grand nombre leur volonté de séparation et le commissaire enquêteur se convainc de la légitimité de leur projet.
Ainsi le 26 avril 1891 le conseil municipal de Saint Louis valide ce projet, la nouvelle ville l’Étang-Salé fera 2290 hectares. Il faudra encore attendre jusqu’au 8 janvier 1894 pour que soit promulguée la loi érigeant L’Étang- Salé en commune.
(Histoire des communes de La Réunion, éditions Delphine 2009)